Confinement Jour J. Quatre parcours inspirants, quatre personnalités racontent ce grand saut dans l’inconnu et leur bataille quotidienne pour rester debout, cultiver l’optimisme. Restaurateurs, hôteliers et globe-trotter, tous entrepreneurs dans l’âme, se réinventent comme pour mieux conjurer la crise. Entretiens croisés.
Sabah Kaddouri : Il y a un an, le monde s’est figé. Le confinement, la pandémie, sont devenus notre nouvelle réalité. Comment avez-vous vécu cette période ?
Olivier Bon, co-fondateur des hôtels-bars l’Experimental Group : Evidemment très mal, comme tout le monde ! Au-delà de la perte financière colossale pour nous, et pour la plupart des groupes hôteliers, c’est surtout le drame social. De nombreux jeunes dynamiques, créatifs, qui font vivre les métiers de services ont perdu espoir. Aujourd’hui, lorsque l’on sort d’une école hôtelière, c’est pour grossir les rangs de…chômeurs alors que ce secteur était l’un des plus prometteur avant la crise ! En dépit de ce sombre tableau, à l’Experimental group, nous sommes restés très positifs : garder le moral et diffuser un peu d’optimisme.
Flore Lelièvre, fondatrice des restaurants solidaires Le Reflet : Comme pour beaucoup, nous avons été mis à l’arrêt de façon brutale. Les équipes du Reflet se sont retrouvées chez elles, isolées. Au-delà des inquiétudes quant à l’avenir de nos établissements et leur pérennité économique, ce qu’il en est rapidement ressorti est le manque de lien social. D’autant plus difficile à vivre quand on a monté un projet qui sert à favoriser les interactions sociales de tout public, notamment les plus fragiles.
Charlotte Castro, co-fondatrice de l’Hôtel du Sentier : Je l’ai vécu “du mieux que j’ai pu”, le confinement a été comme une bulle hors du temps avec mes enfants, à la campagne, un des plus jolis printemps que j’ai eu à vivre. Mais j’étais seule avec mes quatre enfants, car mon mari, médecin, avait repris du service dans un service de réanimation parisien et faisait la navette. En Afrique, on dit « qu’il faut tout un village pour élever un enfant » : le printemps 2020 nous en a appris combien c’est vrai ! J’ai vécu la déscolarisation des enfants comme un abandon de la part du corps enseignant. Ensuite, il a fallu tout réadapter à cette réalité masquée, dont je ne pensais pas qu’elle durerait autant… j’ai tellement hâte de revoir les visages des gens !
Saliha Hadj-Djilani, journaliste chroniqueuse TV et radio et fondatrice de la première radio de podcasteurs : Quand j’ai compris que cette pandémie était mondiale, hors de contrôle, et qu’elle allait durer, mon état émotionnel était proche de la sidération ! Très vite, j’ai eu une envie d’agir pour échapper au confinement par l’esprit qui heureusement n’avait pas besoin d’autorisation de sortie ! C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer ma série de podcasts « Voyagez confiné », un concept pour continuer à voyager, même enfermé chez soi. Ces podcasts m’ont permis de faire rêver mes auditeurs à des lendemains meilleurs en les emmenant dans des pays qui allaient rouvrir un jour. Après tout, on commence toujours par rêver son voyage avant de le réaliser, donc cela avait du sens !
Quelles sont vos leçons et aspirations ?
Olivier Bon : Quelles que soient les crises, le besoin fondamental de sortir dîner et de faire la fête reste ancré dans les esprits. À chaque lueur d’espoir ou de sortie de confinement, les gens se sont rués en masse dans nos établissements. Les réservations explosent pour l’été prochain…Quant à nos aspirations : Plus que jamais nous voulons rendre l’expérience hôtelière exceptionnelle. Les voyageurs, qui auront la chance de voyager prochainement seront encore plus exigeants et sensibles aux détails. Nous serons là pour répondre aux exigences de nos clients explorateurs. Nous sommes prêts, sur les starting blocks, à réouvrir et bosser plus que jamais !
Flore Lelièvre : Garder du lien social est primordial. Se réinventer également ! Ce qui nous a permis de tenir, cela a été évidemment nos équipes, mais aussi de faire des projets, des choses positives ! Le premier confinement nous a permis de nous centrer sur notre association Les Extraordinaires (qui a porté la création des restaurants Le Reflet et qui a pour mission de promouvoir l’inclusion). Du premier confinement est né “Chefs Extraordinaires”, le premier média culinaire ET inclusif (une chaîne Youtube qui propose des recettes accessibles à tous, expliquées par des personnes en situation de handicap). Depuis le deuxième confinement, les équipes ont manifesté l’envie et le besoin de se retrouver, et pas que en visio ! Nous avons donc lancé un projet solidaire en soutien aux étudiants précarisés par la crise sanitaire, à qui l’on propose au Reflet de Paris des repas complets à 1€. Nous distribuons en moyenne 100 repas par semaine.
Charlotte Castro : J’ai été surprise par mon calme et ma capacité à faire face tout en étant choquée par les réactions de repli et de rejet d’une partie des gens. Dans ce monde “d’après”, nous avons finalement ouvert ce boutique hôtel du Sentier de 30 chambres, aboutissement d’un projet de 4 ans, car nous n’avions pas d’autre choix. Il faut être très résilient pour ouvrir dans un climat aussi morose. L’activité est telle que nous ne pouvons pas embaucher comme prévu et du coup on gère toute l’exploitation nous deux avec 3 autres personnes. Nous faisons du 7 jour sur 7 ! La réalité financière est compliquée, nos relations avec notre bailleur difficiles, et on coche aucune case pour prétendre à une aide publique ou prêt. Hélas, si les choses ne s’améliorent pas rapidement, nous n’y survivrons pas.
Saliha Hadj-Djilani : Même dans les pires moments de crise, il faut se projeter et continuer à rêver. Et si la crise était salvatrice ? Et si, au contraire, elle était là pour nous obliger à nous questionner et à nous réinventer ? C’est ce que j’ai fait avec mes podcasts, puis j’ai créé ma propre radio digitale, Saliha Radio, la 1ère radio 100% podcasts. Et quel bonheur de travailler avec des podcasteurs indépendants, créatifs et inspirants ! C’est sur ces critères que je les ai sélectionnés pour créer un média alternatif constructif et positif, loin des chaînes d’info anxiogènes…Certes, on n’est pas encore sorti de cette pandémie… Mais rien n’est éternel. L’orage passe. Tout est mouvement et recommencement. Héraclite avait raison.
Juste avant les dernières restrictions, je me suis envolée à Dubaï. L’un des rares pays où on pouvait encore voyager. J’ai choisi de venir redécouvrir cet émirat où je n’étais pas revenue depuis 10 ans. Je réalise donc des podcasts sur cette destination décidément fascinante. J’ai récemment mis en ligne un podcast sur l’Exposition universelle de Dubaï qui débutera le 1er octobre 2021, puis un autre sur le Burj Al Arab, l’hôtel le plus luxueux du monde : 7 étoiles ! Mais beaucoup d’autres podcasts arrivent !
Demain, sera…?
Olivier Bon : Magnifique ! Nous connaîtrons une longue période euphorique où les gens vont plus que jamais profiter de la vie. Dans cette dynamique, nous serons là . Nous cherchons à développer de nouveaux hôtels et à faire vivre de nouvelles expériences.
Flore Lelièvre : Sous le signe d’un retour à une vie sociale normale ? Mais pas seulement. Il faut espérer que nous tirions des enseignements et notamment sur la solidarité, l’attention portée à l’autre. Empêcher l’isolement social, contribuer à lutter contre la précarité, l’exclusion, chacun à son niveau. Prendre soin des autres et de soi, également. Car nous avons tous été mis au ralenti, brutalement, mais cela nous a aussi montré que l’on allait peut-être parfois (souvent) trop vite. Prendre le temps, revoir ses priorités et se recentrer sur les fondamentaux.
Charlotte Castro : Demain sera, je l’espère plus vert, plus solidaire et fraternel. Mais je crains que demain ressemble un peu trop à hier une fois cette crise derrière nous…
Saliha Hadj-Djilani : Digital ! Plus que jamais. Je pense que la pandémie va modifier durablement nos habitudes. L’open space tirera sa révérence et le télétravail deviendra la norme. Il a ses bienfaits à condition de bien s’organiser. Il permet, comme je l’ai fait, de s’expatrier un temps et de devenir un(e) digital nomad. D’ailleurs, il semble que les planètes se soient alignées car le Petit Futé m’a confié la création du guide du travailleur nomade. On a sélectionné une trentaine de destinations dans le monde et en France où il fait bon vivre et travailler. Il paraîtra avant l’été.